Comment combler la fracture analytique

Collaborateurs   |   Alan Jacobson   |   8 mai 2020 TEMPS DE LECTURE : 6 MINUTES
TEMPS DE LECTURE : 6 MINUTES

Dans les années 1980, la « fracture numérique » se résumait à l'écart entre ceux qui avaient le téléphone et ceux qui ne l'avaient pas. Au cours de la décennie suivante, l'expression a commencé à traduire plus largement le déséquilibre entre ceux qui avaient accès aux technologies modernes, comme Internet bas ou haut débit, et ceux qui n'y avaient pas ou peu accès : respectivement, les « privilégiés » et les « défavorisés ».

Beaucoup voyaient dans cette fracture à la fois une cause et un effet de la pauvreté, et même si des progrès ont été réalisés sur ce front, il reste encore beaucoup à faire. Un certain nombre d'améliorations ont été apportées afin d'éliminer ces disparités d'accès à la technologie : si le taux d'accès à Internet à l'échelle mondiale était inférieur à 1 % en 1995, il dépasse aujourd'hui les 50 %.

Toutefois, 50 % reste un pourcentage faible et le signe que l'écart à combler est immense. Même dans les pays à revenus élevés comme les États-Unis, ces disparités demeurent très importantes. D'après le Pew Research Center, les Américains aux revenus les plus modestes rencontrent encore aujourd'hui d'importantes difficultés d'accès à Internet.

L'impact sur l'ÉDUCATION

La fracture numérique a de profondes répercussions en matière d'éducation. Ces derniers temps, alors que les établissements scolaires du pays ont fermé leurs portes en réponse à la pandémie de coronavirus (COVID-19), les difficultés d'accès à Internet liées à des considérations socio-économiques ont pris une ampleur considérable, tout comme leur impact. Parents et proches se voient confier la charge de fournir à leurs enfants une « éducation en ligne », ce que beaucoup ne parviennent pas à faire du fait du manque d'accès à Internet. Sans accès à Internet et matériel informatique adéquat, les étudiants les plus pauvres ne peuvent continuer à suivre leurs cours en ligne depuis chez eux.

La Federal Communications Commission estime qu'aux États-Unis, 21 millions de personnes n'ont pas accès à Internet. Près de 30 % des habitants des zones rurales seraient concernés, contre 2 % dans les villes.

Une nouvelle fracture se dessine

Outre la « fracture numérique » que nous connaissons depuis de nombreuses années, nous assistons aujourd'hui à l'émergence rapide d'un nouveau déséquilibre : la « fracture analytique ».

À l'image de cette fracture numérique qui a été tout à la fois la source et le reflet de disparités en matière d'éducation et de revenus, la « fracture analytique » creuse un écart entre deux groupes géographiques et socio-économiques distincts.

La fracture analytique

L'accès aux technologies de communication est certes indispensable à l'accès à l'information, mais il existe une nouvelle capacité fondamentale créant un fossé aussi bien chez les individus que chez les entreprises : la capacité à exploiter les données à des fins d'analyser et d'automatisation des processus, qui se traduit par la fracture analytique actuelle.

Alors que les grandes entreprises continuent d'amasser d'importants volumes de données et de se doter de systèmes sophistiqués pour les analyser, le risque est de voir apparaître un déséquilibre important de croissance et d'innovation, et ce dans tous les secteurs.

Pour de nombreuses entreprises, les bienfaits de l'analytique restent inaccessibles.

L'impact sur les entreprises

Une analyse récente menée auprès de plus de 400 entreprises par l'International Institute for Analytics (IAA) révèle que les entreprises faisant preuve d'un niveau de maturité numérique élevé ont connu une augmentation de leurs revenus (+12 %), de leur rentabilité (+26 %) et de leur valeur sur le marché (+12 %).

Les études comme celles de l'IAA montrent clairement qu'il existe un écart de performances croissant entre les entreprises ayant atteint la maturité analytique et les autres. Au-delà de ces données quantitatives, c'est un phénomène que nous observons au quotidien avec des entreprises comme Amazon, Netflix et la myriade d'autres digital natives qui viennent bousculer des entreprises solides et matures autrefois leaders dans leur secteur. Les entreprises les plus solides ont compris que l'analytique ne s'adressait pas qu'aux élites des équipes de data science. Généralisant son utilisation et veillant plutôt à ce que tous leurs employés apprennent à s'en servir, elles leur fournissent les outils, la formation et les encouragements nécessaires au renforcement de leurs compétences, tout au long de leur parcours analytique.

L'impact sur les personnes

Si l'écart est bien présent à l'échelle des entreprises, l'impact sur les individus augmente également. Les knowledge workers possédant des compétences analytiques perçoivent des salaires nettement plus élevés, contribuant à creuser davantage l'écart économique entre ceux qui ont ces compétences et ceux qui ne les ont pas. Aujourd'hui, selon une enquête LinkedIn sur les salaires, le salaire de base médian d'un data scientist est de 105 000 $/an, contre 53 000 $/an pour un comptable, 64 000 $/an pour un analyste financier, 58 000 $/an pour un analyste logistique et 59 000 $/an pour un analyste marketing. Ces écarts sont considérables.

Dans presque toutes les professions impliquant du « knowledge work », on constate que leurs aptitudes à traiter les problèmes avec une approche analytique, à automatiser les processus et à présenter des solutions en fonction des données sont très recherchées. Les knowledge workers savent utiliser l'analytique automatisée par glisser-déposer pour développer rapidement leurs compétences sans avoir besoin d'un diplôme en data science. Alors que l'on attend une augmentation fulgurante du nombre de postes à pourvoir en data science, qui devrait atteindre plus de 2,7 millions, les entreprises se retrouvent aujourd'hui confrontées à une pénurie de 360 000 professionnels. À noter que seulement 39 % de ces postes exigent une maîtrise ou un doctorat.

Diviser pour mieux régner

Les personnes, l'éducation et la culture occupent une place centrale dans ces défis et dans les solutions qui doivent y être apportées. Les lacunes à l'origine des fractures numérique et analytique sont aussi importantes que celles, plus évidentes, expliquant les disparités d'accès à la technologie elle-même. Mais la bonne nouvelle pour les knowledge workers, c'est que cet écart peut être rapidement et facilement comblé. Les ressources en ligne étant nombreuses, ceux qui ne peuvent acquérir ces connaissances durant leurs études pourront facilement développer leurs compétences par la suite, y compris en parallèle de leur emploi. Certaines entreprises comme Alteryx proposent ces formations gratuitement aux clients, tandis que d'autres les proposent à des prix abordables.

Le défi que pose l'évolution rapide de ce secteur, c'est la nécessité de poursuivre l'apprentissage à mesure que de nouvelles techniques et technologies apparaissent. L'apprentissage des techniques de base permettant d'automatiser les processus, de trouver des corrélations et de structurer les données de façon à trouver des réponses à ses propres questions constitue certes un bon point de départ, mais ce n'est qu'un début, les nouvelles techniques en matière d'analytique ne cessant de se multiplier. Les étapes suivantes pourront inclure le traitement du langage naturel (NLP), permettant d'extraire le sens d'un texte libre, la prévision pour des séries temporelles ou encore l'analyse d'attribution du marché. Moi-même professionnel de l'analytique depuis de nombreuses années, je suis toujours étonné de tout ce qu'il me reste à apprendre !

Afin de combler l'écart, les entreprises peuvent également mener des initiatives de transformation digitale. Cependant, nombreuses sont les initiatives qui se concentrent sur une sélection restreinte de projets spécifiques considérés comme essentiels et transformationnels, alors qu'elles pourraient faciliter le renforcement des compétences de tous les knowledge workers. Bien que de nombreux projets clés offrent un fort potentiel de retour sur investissement, les études de l'IAA montrent que les entreprises ayant atteint une maturité analytique ont renforcé les compétences analytiques de toutes les fonctions et à tous les niveaux de postes. L'objectif final doit être de pouvoir appliquer l'analytique à chaque étape des opérations et d'en faire un outil pour tous les projets.

Où en êtes-vous dans votre parcours analytique ? De quel côté de la fracture analytique vous situez-vous ? Prenez-vous des mesures pour combler l'écart ? Avez-vous embarqué l'ensemble de vos collaborateurs dans cette transformation ou vous cantonnez-vous à quelques projets isolés ?